Gringe et Joy Sorman partagent sur la santé mentale

Guillaume Tranchant, mieux connu sous son nom Gringe, et Joy Sorman, philosophe et écrivaine française, sont venu.es à la Foire du Livre de Bruxelles en 2021 pour une rencontre autour de la thématique principale de leur dernière publication respective : la santé mentale.

Alors que Joy Sorman n’en est pas touchée personnellement, l’acteur, rappeur et auteur français est familier des maladies mentales : son petit frère, Thibault, est diagnostiqué schizophrène. Le livre « Ensemble, on aboie en silence », ils l’ont écrit ensemble, dans l’intimité. Sorman, elle, a écrit son bouquin « À la folie » à la suite d’une immersion en hôpital psychiatrique.

Equilibre entre distance et proximité

L’auteur et l’autrice s’accordent sur le fait que les deux œuvres entrent en harmonie, l’une complétant l’autre par la proximité fraternelle et la dimension affective face à la distance émotionnelle mis à jour en psychiatrie. « Avec l’immersion dans un tel milieu, je ne m’accordais pas le droit aux sentiments, ce qui n’enlève en rien l’empathie que je ressens » explique l’écrivaine. Gringe, à son tour, se devait de trouver la juste distance avec son frère pour ne pas en faire un objet d’étude mais quand même être capable de brosser le portrait d’un être qui lui est cher. « Ce qui peut sembler paradoxal, est que finalement, c’est justement cette hyper-proximité qui m’a permis de trouver cet équilibre. »

Pour Joy Sorman, cette distance était essentielle. Car les sentiments qui peuvent naître des rencontres, ces émotions de maternité, d’amitié, auraient mis en péril le temps d’observation active passé avec les personnes malades. « Il fallait y couper court. Mais ce n’est pas facile de rester en-dehors du champ magnétique de l’affect. »

La complexité d’une maladie mentale

Pendant plus d’un an, elle passait chaque mercredi en compagnie de celles et ceux qu’on a tendance à appeler « fous ». Les patients étaient ravis de la voir, cette « attraction du mercredi ». Etant l’élément extérieur à la vie en hôpital psychiatrique, elle était à cent pour cent à leur disponibilité, au contraire des soignant.es, qui doivent départager leur temps entre tou.tes les patient.es. L’accueil du côté du corps médical et autres encadrants était un peu plus réservé. « Ils avaient peur que je sois amenée à témoigner de scènes difficiles à digérer. Mais contents aussi qu’il y ait enfin quelqu’un qui témoigne de leurs souffrances à eux, des tensions et du manque de temps et de main d’œuvre. »

Gringe n’avait pas besoin de cette phase d’apprivoisement avec son frangin, bien que ce dernier ne fût pas forcément à l’aise avec l’idée d’être observé de si près, par crainte aussi d’être jugé. Pour Sorman, dont seul le désir d’écrire l’animait, il s’agissait aussi d’une question éthique. « Ma légitimité d’entrer dans leur monde, de les fréquenter pour écrire sur eux, était très fragile, je n’avais pas droit au faux pas. Je me devais d’y aller avec les moins de préjugés possibles, d’oublier et de faire taire les images et idées reçues dans ma tête. Tout est précaire et révocable dans cet univers. » L’approche plus intime entre Gringe et son frère cadet Thibault rend compte de la complexité du mode de fonctionnement d’une personne atteinte d’une maladie mentale.

« J’avais peur que notre relation prenne un coup, mais je l’ai rencontré une deuxième fois. Pour ces personnes, entendre des voix est une énorme souffrance, mais elles peuvent aussi leur sauver la vie. »

Cet avatar qu’ils se créent, ce compagnon de route à qui ils peuvent donner la parole, il sert à amoindrir la souffrance, à percer la solitude, c’est un jeu. Parce que ce sont ceux qui sont déçus par la réalité qui se construisent un monde à part.

Tant pour Sorman que pour Gringe, l’écriture permet de synthétiser les pensées et le rap n’est, en fait, rien d’autre qu’une sculpture de la langue. En psychiatrie, Sorman a préféré être le moins intrusive possible. « Après les entretiens, je me cachais dans un coin pour prendre note. Il y a des approximations dans le récit final. » Quant à Gringe, son frère a découvert certains passages seulement après publication du livre. « Je lui ai menti, ce sont des sujets qu’il ne voulait pas que j’aborde. Mais je pense que cela lui a fait du bien que j’en parle. Parfois, il fallait aller dans les détails pour le livre, et ça permet de mieux comprendre certains aspects de la maladie. Le mentionner dans le livre, en parler a finalement permis à Thibault d’assumer toutes ses multi-dimensionnalités. C’est quelque chose qui, avant, empêchait sa rémission je pense. L’objectif ultime du bouquin est de lever le voile non sur des tabous, mais sur des choses que nous rendons taboues. »

Danièle Hayum

Photo à la Une : Paul-Louis Poliart & Chloé Meurist

Photo dans l’article : Alice Walravens

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