Écrire, une forme de liberté ?
Sur le Festival du Livre de Bruxelles, il existe un prix un petit peu particulier. En collaboration avec la CAAP (Concertation des Associations Actives en Prison) et l’ADEPPI, la Foire du Livre a organisé un concours à l’attention des détenu.e.s des prisons de la Fédération Wallonie Bruxelles. Pour la catégorie fiction, le jury, présidé par Nicolas Feuz, a couronné le texte de Julien Decroyer qui nous offre aujourd’hui une page blanche sur la question « écrire rend-t-il libre ? ».
Tous autant que nous sommes, nous avons notre propre définition de ce qu’est ou devrait être la Liberté. La simple idée qu’elle puisse être ainsi constamment redéfinie, que ses contours soient sans cesse redessinés, la rend d’autant plus belle et insaisissable.
Bien malgré nous, il nous a été brutalement rappelé ces derniers mois qu’elle n’était de plus jamais acquise. A-t-on seulement un jour fini d’être libre ? Cette liberté ne serait donc qu’un bout de territoire à défendre ? Un bout de terre à géométrie variable sur lequel on se sent parfois envahi ou avec lequel on se permet à l’occasion quelques largesses cadastrales…
Ecrire, me semble-t-il, pourrait être la plus belle manière de conquérir de nouveaux territoires de liberté et ce, sans jamais empiéter chez qui que ce soit car on parle bien de lieux inexplorés.
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les marins et autres explorateurs en tout genre tiennent-ils un journal de bord ? Alors même qu’ils explorent physiquement de nouveaux horizons. Sans doute parce que cette liberté nouvelle ne se concrétisera jamais aussi bien qu’à travers des mots. Des mots pris à témoin comme pour attester de l’exploit accompli ou de l’aventure vécue.
Tout comme c’est le plus souvent à l’adolescence, peut-être la plus grande traversée de la vie, que l’on commence à rédiger un journal intime. Dans cette période où le corps se fait trop étroit pour contenir tout ce qui nous anime, c’est là encore dans l’écriture que s’exprimera pleinement cette liberté balbutiante.
Pour ma part, c’est en prison que je me suis osé à l’écriture. Mon premier texte avait pour titre « la prison m’a libéré ». J’imagine avec le recul que c’est bien plus le fait d’écrire ce texte qui était libérateur et non la prison en elle-même. Toujours est-il que c’est cette privation de liberté physique qui m’a tout naturellement amené à écrire. Tout charpentier que j’étais, cela ne coulait pas de source. Pour l’anecdote, j’occupais à cette époque une cellule qui se trouvait à quelques cellules seulement de celle qu’occupait un certain Paul Verlaine quelques 140 ans auparavant. Je jurerais que c’est bien lui qui, un soir, me souffla l’idée d’écrire un poème sur les mouettes. Je m’exécutai tout en me disant que Verlaine devait être encore ivre pour me parler de mouettes. Je fus le matin qui suivit réveillé par… des mouettes évidemment !
Écrire ne permet donc pas seulement d’explorer des ailleurs lointains ou fantasmés, cela peut aussi permettre de retrouver une certaine lucidité sur ce qui nous entoure. Une autre forme de liberté…
Malheureusement, ce qui fait l’essence même d’une liberté, c’est bien souvent son caractère inégal. Dans un monde idéal, nous pourrions dire que toute personne qui a reçu l’instruction nécessaire est bel et bien libre d’écrire, or, il n’en est rien.
« … on n’est pas lettré, on le devient. Quelqu’un nous fait et nous faisons lettrés … …nous ne disons pas nécessairement de quelqu’un capable d’utiliser l’alphabet pour lire et écrire qu’il est lettré. Est lettré celui qui, au minimum, maîtrise pleinement les habiletés de lire et écrire. A un niveau supérieur, c’est celui qui fait de ces habiletés un usage régulier et productif, non seulement en tant que lecteur et scripteur, mais en tant que lisant et écrivant. » (José Morais dans « Lire, écrire et être libre », Odile Jacob)
Julien Decroyer
Photo : Axel Gentinne
Retrouvez la cérémonie des prix du concours « Libre d’écrire » ici.