Chronique de lecteur – Pierre, Christian Bobin

Cette chronique proposée par Bénédicte Thill a remporté le prix du concours de chroniques organisé par la Foire du Livre de Bruxelles. Un véritable coup de coeur de notre jury !

Quitter son havre de silence et de verdure, prendre un train de nuit, la nuit de Noël, traverser les campagnes porté par un souhait, celui d’apporter une admiration, un long poème au grand prêtre du noir, Soulages.

Bobin nous intrigue, nous émerveille dans cette escapade nocturne, nous lasse aussi, parfois, nous abandonne et puis nous éclaire brutalement, comme une torche pointée devant soi sur un chemin forestier, non avec de l’or ou le bleu d’un ciel mais avec le noir d’un peintre bientôt centenaire.

Le noir est un évènement qui s’est renouvelé sur la toile du peintre. Bobin le commente comme les incidents du Ciel et de la Terre dont il est le témoin privilégié dans son logis du Creusot, avec l’œil attentif de celui qui sait attendre l’inattendu.

On entre dans la toile noire,  totalement et magistralement noire comme dans les mots du poète, en invité intimidé par ce qui ressemble bien à la beauté absolue.

Le conteur des mystères du Très-Bas traverse les paysages intimes d’un autre créateur à travers le noir, la nuit du noir, éclaboussée par les merveilles  de l’instant, si chères  à celui qui les rencontre au détour des mots blottis au creux d’un espace toujours élargi par une nouveauté de langage, une apparition, qu’elle soit certaine ou inventée. La vie est une riche aubaine au cas où nous l’aurions oublié, la Mort y a cependant ses entrées discrètes, sur lesquelles on se heurte de plus en plus souvent, l’air de rien. On quitte d’une minute les yeux emplis de Dieu du nourrisson qu’une ombre familière mais crainte prend place le temps d’une pensée imprégnée d’au-delà.

Il y a ceux qui aiment Bobin, qui ont besoin de sa lucidité féconde et ceux qui voient en lui un poète de campagne tranquille, d’eau douce, un compagnon  agréable les jours de pluie quand le soleil tente quand même sa chance.

C’est comme Modiano, vous diront-ils, sa prose tourne toujours autour de la Place de l’étoile…

Mais ceux qui  chérissent  les déambulations dans les rues au nom improbable à la recherche de fantômes surgis d’une encre sympathique sont aussi ceux qui se retrouvent sur la voie ferrée qui mène à Sètes, ce nom qui prend formes et couleurs sous la plume de Bobin.

L’œuvre de Bobin est une œuvre de la tentation, celle d’approcher de manière la plus sensible, la plus épurée ce qu’on n’a que pressenti fugacement au détour d’une vision ou d’un souvenir.

Pierre, écrit-il, oui Pierre, et on le suit derrière cette virgule car on veut nous aussi entrer dans le noir sublime de Soulages.

Pierre, de Christian Bobin aux Editions Gallimard, 2019.

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