[Victor Hugoal – Épisode 4] Barbosa, l’anti-héros
L’Euro, le championnat d’Europe des Nations de football, a débuté ce 11 juin et la participation de l’équipe belge suscite une incroyable effervescence dans tout le pays.
Y aura-t-il comme on le pense souvent une partition des publics rivant d’un côté les mâles alpha devant leur écran et laissant aux autres les cinémas heureusement rouverts et les livres jamais fermés ?
La nuance s’impose. Bernard Pivot, ce chantre de la littérature, n’est-il pas un supporter acharné du PSG ?
A l’heure où malgré ses dérives financières le football-business rejoint parfois certaines de nos valeurs notamment avec les campagnes « Respect » et le genou posé en terre de « Black live matter », Notre Média vous proposera de découvrir pendant la durée de la compétition une série de livres emblématiques dont le football constitue le fil conducteur. Une manière de jouer le jeu!
C’est l’histoire d’un drame, c’est un requiem pour un gardien de but.
Tous les jours, Isaias Ambrosio qui a près de 90 ans retourne au stade de Maracana à Rio de Janeiro et revit le match du 16 juillet 1950, se remémore la 78ème minute fatale où le Brésil a perdu la finale de la Coupe du Monde qui lui était promise, battu 2-1 par l’Uruguay.
Le Brésil était super favori. Son équipe avait survolé la compétition alors que l’Uruguay bégayait son football. Elle ne pouvait pas perdre devant les 200.000 spectateurs qui dansaient sur les gradins. Mais à onze minutes de la fin du match, Gigghia intercepta le ballon au milieu de la pelouse, avança, dribbla et… un silence glacial tétanisa le stade. But et victoire pour l’Uruguay.
Dans les rues des quartiers ouvriers, de longues tables avaient été dressées à même le pavé pour le banquet gigantesque du triomphe. Les bancs restèrent vides. Même les chiens n’osaient pas approcher de la nourriture. Et quand le vent monta, on n’entendit plus que le claquement sinistre des nappes dans le soir.
Un match de football n’a jamais eu un tel impact sur la vie émotionnelle d’une nation. Ce but a été filmé, ces quelques secondes qui montrent la course de Gigghia, le plongeon de Barbosa, l’infortuné gardien, sa main qui effleure le ballon… c’était comme l’assassinat de Kennedy écrit Muylaert, « le même drame, le même mouvement, le même rythme, la même précision d’une trajectoire inexorable. »
Moacyn Barbosa devint la personnification du traumatisme national. Il raconte que vingt ans après ce match perdu, une femme le désigna du doigt dans la rue et dit à son petit garçon : « Regarde bien cet homme, c’est lui qui a fait pleurer tout le Brésil ! »
Muylaert recompose avec beaucoup de détails la déroute épique et la vie marquée à jamais de Barbosa jusqu’à cet épilogue tragi-comique. En 1963, Barbosa invita ses amis pour un barbecue. Il n’utilisa pas pour le feu du charbon de bois ordinaire mais brûla les funestes poteaux du but de Maracana, réduits en cendres en une sorte de liturgie de la purification.
Mais la défaite est toujours présente dans la mémoire collective. « En 1950, nous avons perdu notre innocence… » et chaque matin, Isaias Ambrosio retourne au stade…
Barbosa, um Gol faz 50 anos
Roberto Muylaert
RMC Editora, Rio de Janeiro, 2000.
(non traduit en français à ce jour)